LOCALS B(EE)R
Locals est une petite série débutée il y a quelques mois sur le mag en ligne. L’idée est simple : confier un appareil photo argentique à un crew local ou une personnalité, afin qu’ils documentent leur vie, leur environnement, leurs cercles de copains et leurs spots au travers de photos, puis d’en discuter. Pour ce nouvel épisode -tiré de notre mag papier-, j’ai contacté Bastien Regeste. Parallèlement à ses qualités indéniables de skateur, Bastien a également développé ses talents de vidéaste. Avec sa série de vidéos B(ee)R et son crew, Bastien, en quelques années, a réussi à mettre de nouveau en avant Montpellier et sa région.
Tu peux me parler de B(ee)R ? Comment est né le projet ?
C’est un petit jeu de mots. J’avais le mot BR dans ma bio Instagram. Si tu prononces les deux initiales ensemble avec l’accent anglais, ça donne Beer, comme la bière. Au départ, il s’agissait d’un projet personnel. J’étais en mode « Qui m’aime me suive ! » Puis, au fur et à mesure, des copains se sont ajoutés au fil des vidéos.
J’ai officiellement lancé B(ee)Ren 2019. J’ai commencé à filmer la première vidéo durant l’été 2018. Ensuite, je suis parti quatre mois à New York fin 2018, pour un semestre d’étude. Pour moi, c’était l’une des meilleures périodes au niveau des vidéos de skate. Tu avais la Polar, la GX1000, la Supreme et la Bronze 56k qui sortaient quasiment en même temps. Sur place, des grosses AVP étaient organisées. Le fait de voir des vidéos avec autant d’engouement m’a beaucoup marqué. Je me suis demandé pourquoi les choses ne se passaient pas de la même manière à Montpellier. Chez nous, les AVP attirent trois pelos, alors qu’à New York, c’est blindé, sold out. Tu avais les gens qui se massaient à l’extérieur, se mettaient sur les voitures pour voir un bout de la vidéo. C’était fou.
En même temps, Montpellier, c’est la Province ! – Rires – (Je précise que je viens de Nîmes.)
En fait, les AVP à Montpellier sont la plupart du temps organisées par les shops. Ils gèrent la com avec ce que les marques leur donnent, puis diffusent la vidéo sans rien autour. Ça m’a fait cogiter. Je me suis dit qu’il fallait créer quelque chose de plus ambitieux. Il faut créer une hype autour du skate, autour d’une vidéo. J’ai rapidement intégré ce paramètre pour la B(ee)R 1. J’ai profité de mon projet en événementiel en fin de Bachelor 3 pour concrétiser cette idée.
En plus, j’étais noté dessus. Donc dès que j’ai entendu qu’il fallait organiser un event dans le cadre de mes études, j’ai sauté sur l’occasion et j’ai proposé mon idée. Je me suis retrouvé avec trois gars qui n’avaient rien à voir avec le skate. Ils étaient en mode « Bon bah okey, on va te suivre même si on n’y connait rien. » Je me suis beaucoup impliqué, parce que j’avais les contacts. Je me suis occupé quasiment de tout et mes camarades de classe se sont un peu sentis mis de côté.
Comment tu t’y es pris pour organiser ton AVP ?
Je me suis demandé ce qu’il faudrait en plus d’une AVP classique. Il fallait une belle salle, donc j’ai ciblé le Rockstore. Pour l’ambiance, j’ai pensé à des rappeurs, des DJs, des goodies, des free drinks et de la free food. On a réussi à obtenir tout ce à quoi on avait pensé ou presque.
Pour la bouffe, on a réussi à avoir un partenariat avec une pizzeria. Pour l’ambiance, on a réussi à faire venir le rappeur Faktiss, un ancien membre du groupe Set & Match, et un DJ, Tiño, qui mixe beaucoup sur Montpellier maintenant. Pour une première vidéo sous le nom de B(ee)R, j’ai réussi à rassembler près de 300 personnes. Au vu du succès, je me suis dit : « Ok, c’est comme ça qu’il faut faire. » Il faut vraiment se bouger le cul et respecter toutes ces étapes. En plus, après l’event, la vidéo a bien tourné sur les réseaux sociaux. Ça m’a motivé à enchaîner sur un autre projet. Celui-ci a pris plus de temps à cause du COVID, mais on l’a poussé de la même manière en appliquant la même formule.
Quels sont les membres permanents du crew ? Tu peux les présenter ?
Il y a Aymeric SamPol. Juste avant d’aller à l’AVP de la Polar We Blew It At Some Point à Montpellier, on a fait une première session et on s’est dit qu’on voulait filmer un truc ensemble. On a fait une session très productive de deux-trois heures avant l’AVP et on a eu quelques bons clips. Puis, le soir, on est allés voir la vidéo Polar ; elle m’a mis une grosse claque. La vidéo a été le premier déclic qui m’a donné envie de réaliser une vidéo. Aymeric a continué à venir aux sessions. Il y a aussi Théo Moga, qui est venu avec nous, et mon frère, Mathis. Ils ont été au cœur du premier projet. En guest, j’avais Lionel Cabos, Bastien Marlin et plein d’autres montpellierains.
Pour la B(ee)R 2, le cœur de l’équipe était composé de Clément Om, qui revenait de ses études à Madrid, Lionel Cabos et Pierre Bonnafé. Malheureusement, le COVID a pas mal retardé la sortie de la vidéo. Le filming nous a pris près de deux ans. Mais ça m’a permis d’ajouter plein de monde au projet, comme Maxime Garlenc. Et puis les anciens comme Theo Moga sont revenus. On s’est retrouvés avec neuf parts complètes. Il y a environ neuf-dix personnes récurrentes dans le crew. Disons que c’est à partir de la B(ee)R 2 que le crew définitif s’est formé. Dans la (ee), ma troisième vidéo, j’ai intégré des plus jeunes, comme Clément Rouquette et Louis Bars. Louis est arrivé un peu par hasard dans le crew. Bastien Marlin avait chopé le COVID juste avant qu’on parte à Lyon, donc on avait une place qui s’était libérée. Et, au dernier moment, on a pris Louis. On le connaissait déjà, mais c’est trop devenu le sang. Il a vraiment bien skaté et son intégration s’est faite naturellement.
Y a-t-il des conditions particulières pour intégrer le crew de B(ee)R ?
Vu que c’est un crew qui s’est formé autour du projet vidéo, c’est surtout lié à l’implication de chacun. Ceux qui viennent ont le plus de chance d’avoir des footages. Si tu n’as pas envie de venir, tu ne viens pas. Parfois, certains viennent uniquement pour supporter les potes. C’est cool aussi.
Tu filmes essentiellement à Montpellier ?
J’essaie au maximum de filmer à Montpellier et ses alentours pour mettre en avant ma ville et documenter tous les spots. On essaie d’en trouver des nouveaux ou d’aller sur des anciens qui n’ont pas été skatés depuis longtemps. On essaie vraiment d’exploiter, de presser au maximum le jus du street de Montpellier. Parfois, on part explorer des spots repérés dans des villages grâce à Google Maps. C’est souvent l’inconnu. Parfois, on peut tomber sur des trucs bien sympas ; parfois, c’est éclaté.
Tu parles de Google Maps comme étant un très bon moyen de localiser des spots. As-tu d’autres astuces ?
Effectivement, j’utilise pas mal Google Maps. Le mode 3D est génial. Ça te donne une perspective qui te permet de mieux te rendre compte de la hauteur des marches, des curbs, etc. J’ai une petite astuce. En fait, je cherche dans des villages random les mairies ou les écoles. Souvent, tu peux tomber sur des plazas qui n’ont jamais été skatées auparavant. Des fois, il peut arriver qu’on aille sur un spot qui se révèle impraticable. Puis, en explorant autour, on peut trouver des spots. C’est une question de chance parfois.
Il y a un spot que vous avez découvert et que vous avez adoré skater ?
Dans la B(ee)R 2, il y a un spot assez banal qu’on a trouvé. C’était dans le village de Murviel-lès-Montpellier, typiquement un petit village. On y a trouvé, au milieu d’une rue, une espèce de mini downhill avec un bump en bout.
Et, juste à côté, on a trouvé une barrière en plastique qu’on a placée après le bump. Donc ça faisait une petite descente pas très raide et, au bout, on avait un petit bump. Clément Om y a fait un flip back bien stylé par-dessus dans sa part dans la B(ee)R 2.
C’est vraiment des spots paumés comme ça qu’on adore explorer. On cultive cette approche locale sur les vidéos B(ee)R pour que ça parle aux gens de Montpellier. Si tu es un montpelliérain, tu peux reconnaître les spots et si ça peut te donner envie de filmer ou de skater, explorer, c’est encore mieux. Parfois, c’est marrant, il y a des spots qui sont dans le centre mais que les locaux ne reconnaissent même pas. Ils me demandent où ils se trouvent, alors que les gars skatent tous les jours.
C’est vrai que des fois tu as tellement l’habitude de skater sur ton spot que tu n’as peut-être pas forcément envie d’aller voir ailleurs.
Ouais, les gars skatent soit à la grille soit à Albert Ier et ils ne vont pas explorer les spots un peu reculés. On a une équipe de gars assez motivés pour skater des spots moins praticables. On se balade avec des plaques en fer et des « Rub Brick » pour poncer certains spots qui ne sont pas du tout skatables. Grâce à cet accessoire, tu peux enlever tout le béton ou tout le crépi sur un curb. Ça peut te sauver des spots.
Tu t’es déjà rendu sur des spots repérés sur Google Maps qui paraissaient skatables mais qui se sont finalement avérés impraticables ou imprenables ?
La dernière fois, on a fait une mission village entre Montpellier et Nîmes. On est allés à Calvisson ; on avait repéré un rail avec des blocks. Sur Maps, tu ne pouvais pas t’approcher du spot, tu le voyais de loin, de la route. Ça avait vraiment l’air chanmé. Et en fait, une fois arrivés devant, le sol était sablé comme sur les terrains de pétanque. C’était un sable lisse imperceptible sur les photos.
Par contre, on a eu une belle surprise à Valras Plage. On a trouvé une plaza incroyable. Pierre Bonnafé y fait un back tail, fakie manny, fakie tré dans sa part. Il y a des manny pads avec des curbs par-dessus. C’était une plaza que personne n’avait skatée. Je l’avais repérée sur Maps. On est allés à Agde pour skater avec Bastien Marlin. Lui était rentré par la suite et puis, nous, on avait continué un peu plus loin pour découvrir cette plaza. Les curbs étaient neufs, tout roulait trop bien. On y est même retournés avec tout le crew pour faire d’autres images.
C’est ce qui fait le charme de l’exploration.
Oui, c’est marrant. C’est notre recette. Soit on skate des spots à Montpellier qui ont déjà été faits et nous on essaie d’y faire des choses originales, soit on part chercher des spots dans des contrées lointaines. – Rires – En bord de mer aussi, on trouve des trucs sympas.
Comme les plans inclinés de la Grande Motte.
Oui. D’ailleurs, ça, c’était mon premier spot de street. Avec mon frère, on l’a vu en construction. On l’a skaté avant même qu’il ne soit complètement terminé. On a fait nos premières sessions street à la Grande Motte.
Le street était pas foufou là-bas. Je me rappelle qu’il y avait un skatepark en métal tellement ghetto qu’on pouvait le considérer comme un spot de street… – Rires –
– Rires – Il était trop bien en vrai. Et la flat barre ronde et le kicker étaient parfaits. D’ailleurs, tous les tricks en gap, on les apprenait sur ce kicker. Le spine aussi était top. Chose qu’on ne voit plus trop dans les parks, mis à part dans les bowls.
A la Mosson, il y avait un petit spine ; le park était tout en bois.
Je vois, mais je n’ai pas connu cette version du park. J’ai connu l’ancien Grammont. Vu que c’était plus proche de la Grande Motte.
Pour en revenir au street, pourquoi y a-t-il si peu de projets qui émergent de Montpellier ? Il s’agit pourtant d’une ville assez grande, étudiante, où il y a quand même pas mal de skateurs…
Il y a eu une génération, une grosse génération même, qui a vu de bons photographes et vidéastes émerger, à l’époque des MO’FO’, avec Boris Proust et Luc Angles. Puis, plus rien côté vidéo et photo, mis à part le frère de Boris, Elliot, qui a eu des photos publiées dans Sugar. Mais il n’y a pas eu de photographe qui a documenté de manière durable la scène. En plus, les shops, ici, ne sont pas hyper solidaires, ils sont plutôt du genre à se faire la guerre. Celui qui se bouge le plus et qui, de mon point de vue, est le plus légitime, c’est Popular. Il dispose de moins de moyens, mais il est vraiment déterminé et il reste proche des locaux.
Je pense aussi que les marques pensent que Montpellier n’est pas un marché très dynamique, que c’est une ville qui dort un peu. Donc elles n’investissent pas forcément ici.
Côté vidéo, moi, je me bouge à filmer, envoyer mes edits à des mags, organiser des événements avec du monde. Il y a d’autres vidéastes qui font des edits, mais ils restent dans leur coin.
Je suis effectivement tombé sur des vidéos tournées à Montpellier que je ne citerai pas, bien filmées, bien montées, mais sans aucune communication autour.
C’est clairement dommage de bosser sur une vidéo durant des mois et de la publier derrière à l’arrache et qu’elle fasse à peine deux cent vues. Moi, j’ai envie que mes vidéos soient partagées et vues. Et ce n’est pas égocentrique de penser ainsi. C’est surtout l’idée de mettre en avant Montpellier, les locaux, et puis que ça donne envie aux autres skateurs, voire même aux générations d’après, de se mettre à la vidéo. Si personne ne le fait, le skate montpelliérain va mourir. – Rires –
Tu peux être le meilleur skateur, rentrer tous les tricks que tu veux, s’ils ne sont pas filmés ou photographiés par quelqu’un, ça ne sert pas à grand-chose.
C’est ça. En ce moment, il y a des jeunes comme Tylo et son crew qui font leur truc. J’essaie de les pousser, je leur dis à chaque fois de venir vers moi s’ils ont besoin de conseils ou autres. Dès qu’il y a des nouveaux qui ont des idées de projets, j’essaie de les encourager, parce que j’ai envie de partager mon expérience avec eux. Parfois, certains refusent mes conseils et j’ai l’impression qu’ils prennent ça comme une compétition.
Ça manque d’entraide je trouve. Je pense aussi qu’il y a un peu de talkshit. Une fois, j’ai proposé à un gars de venir skater avec nous, filmer un trick pour la vidéo pour la partie Friends. Il m’a répondu : « Ah non mais moi je n’aime pas quand c’est filmé en 4K. » J’étais plié. Je ne filme jamais en 4k.
Tu peux donner ton set up ?
J’ai le GH5 Panasonic avec un fisheye meike 3.5mm. C ‘est un tout petit fisheye bien rond que je resize en 4/3 HD. C’est comme si tu avais de la VX HD. Pour revenir sur le mec de Pop Trading, il a vraiment pris ce délire de HD VX au sérieux en faisant de la VX au long lens et du HD pour le fisheye. J’aime bien ce genre d’expérimentations. Romain Batard fait de bonnes expérimentations je trouve. Il avait donné un tuto pour du HD VX où il expliquait comment coller son fisheye MK1 sur une caméra HD. Plein de gens ont commencé à faire du HD VX grâce à lui. Je suis pour les filmeurs qui expérimentent et qui ont envie de s’éloigner de cette caméra presque obsolète. On est en train de dire : « La VX, c’est mort. » J’aimerais bien qu’on dise la même chose de la HPX d’ici quelques temps.
En fait, ça manque surtout d’un fisheye abordable niveau prix qui s’adapterait aux nouvelles caméras. Quand je dis que les gens ne se bougent pas assez, je me demande pourquoi il n’y a pas une personne un peu ingénieur qui pourrait créer le fisheye parfait. Faudrait un skateur/filmeur qui bosse dans l’optique qui pourrait inventer le fisheye parfait qui ne soit pas à cinq mille balles. Lui, il se ferait des tunes, c’est sûr. Enfin bon, c’est ma vision globale de la vidéo de skate en ce moment.
On continue de parler de vidéo. J’ai vu que tu étais en Italie avec les gars. Le prochain projet se déroulera là-bas ?
On travaille sur la B(ee)R 3. Elle sera plus longue et plus travaillée que la (ee). Je pense que ça va être la dernière grosse vidéo de la série. Ensuite, je ferai plus de vidéos courtes dans l’esprit de la (ee). Peut-être qu’on fera comme Hockey en passant directement à la B(ee)R 10. – Rires –
Ce qu’on a filmé en Italie occupera peut-être une petite section spéciale Turin au milieu de la vidéo. On y mettra aussi toutes les conneries à l’appartement. J’envisage d’autres trips, cette fois en France, du côté de Lyon, Marseille, et pourquoi pas Paris. Barcelone, ce serait cool aussi. Les spots font très envie. Tout dépendra du budget. Après, on fait tout ça avec nos propres moyens…
On essaie aussi de proposer des boards B(ee)R en petite quantité. Ce n’est pas super rentable, mais ça nous permet d’avoir nos propres boards, avec notre identité et une shape qu’on a choisie. Au moins, nos efforts représentent notre truc à 100%.
Quels sont tes projets ?
En ce moment, on est déjà sur la B(ee)R 3. Le but serait de la sortir pour l’été prochain. Pour le moment, on va se mettre en mode filming. Tout en travaillant en parallèle. Ce qui est marrant aussi, c’est que pas mal de membres du crew se sont mis à faire de l’escalade en salle. Donc on se fait des séances régulièrement. Aux soirées, des fois, on entend parler à moitié de skate et d’escalade. Bref, le projet va continuer.