Theo Moga, entre son métier de prof et sa vie de skateur à Paris
Introduction par Bastien Regeste.
Ça fait maintenant plus d’une dizaine d’année que je connais Théo, il est passé d’un petit contest kid à un ami proche. C’était le premier, avec Aymeric Sampol, qui m’a fait confiance pour le tout premier projet B(ee)R. Sans savoir ce que j’étais en train de cuisiner, il s’est donné à fond pour filmer ses parts, aidé pour l’organisation des événements et même pour les partenariats avec ses sponsors.
Théo c’est le gars hyperactif mais hyper discret à la fois. Avec son travail de professeur d’anglais il protège tellement sa vie privée qu’il n’est pas rare qu’on apprenne l’existence d’un membre de sa famille dont il ne nous avait jamais parlé.
Mais Théo c’est un bon, fidèle à lui-même, ne rate jamais une session, toujours à l’heure et échauffé. Chose qui n’est pas toujours compatible avec 90% des skateurs. Cependant, Théo il est là, il filme ses parts, fait ses photos et marque son territoire peu importe la ville où il choisit de poser ses valises.
On peut dire qu’il est bon élève dans le skate…un peu le comble d’un professeur à la « cool » non ?
Le sud ne te manque pas trop ?
Le sud me manque. J’y étais ce week-end et j’y retourne de temps en temps pour skater avec mes potes. La scène est plus petite et puis j’ai mon crew B(ee)R avec lequel on filme régulièrement.
On se connait depuis très longtemps, on travaille tous, mais on trouve toujours du temps pour se motiver et se mettre des missions filming.

Comment tu te sens à Paris ?
L’adaptation est délicate. Le quotidien n’est pas le même que dans le sud. Les trajets sont plus longs, la météo n’est pas folle, mais, pour skater, c’est incroyable. La ville regorge de spots, de skateurs et de filmeurs motivés. Beaucoup de choses s’y passent. Les gens de l’industrie sont ici, donc c’est l’idéal pour faire des connexions. Dès que je suis arrivé, je me suis mis à filmer avec Kaissan, Rémi Chautant et, dernièrement, je traine pas mal avec Pierre Langevin.
Mis à part les trajets et la météo, qu’est-ce qui rend l’adaptation difficile ?
Socialement, je dirais que c’est plus difficile qu’ailleurs de construire des relations solides avec les gens et de voir ses potes régulièrement. La taille de la ville fait que lorsqu’on n’habite pas dans le même quartier, on se voit peu, même simplement pour boire un coup en fin de journée ou partager une activité.
Pourquoi tu as choisi de devenir professeur d’anglais ?
J’ai fait des études de langues à Lyon, puis, à la fin de ma licence, je me suis demandé ce que j’allais faire. J’étais parti au départ sur un projet de traduction et, après réflexion, j’ai opté pour l’enseignement. J’adore pouvoir partager mon savoir avec les enfants et c’est surtout ce côté relationnel qui me plaît. De plus, en tant que prof, tu as une certaine liberté dans ta manière d’enseigner, tu n’as pas sans cesse quelqu’un derrière toi à qui tu dois rendre des comptes. Évidemment, l’emploi du temps et les vacances scolaires me donnent la possibilité de pouvoir pas mal skater et de bouger à côté.

Tu as quand même du travail à la maison, non ? Les cours à préparer, les copies à corriger, etc…
Il faut effectivement préparer tes cours et corriger des copies, mais, si tu t’organises assez bien, tu peux trouver du temps libre.
Avec le contexte actuel, les dramatiques assassinats des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, est-ce que tu penses que prof est devenu un métier risqué ? Comment tu le vis ?
Les conditions de travail se sont dégradées au fil du temps. J’ai l’impression que la parole du professeur a moins de poids qu’avant et que les méthodes et contenus des cours sont de plus en plus remis en question par certains parents d’élèves. Parfois, tu dois te justifier quand tu as puni un gamin ou abordé tel sujet d’actualité. C’est quelque chose qui aurait été inimaginable quelques années en arrière. J’ai déjà été témoin de situations où un parent voulait régler ses comptes avec un prof. Du genre mec qui débarque au collège sans prévenir et qui veut à tout prix rencontrer un prof. J’en connais qui se sont déjà rendus au commissariat pour déposer une main courante suite à des menaces.
Personnellement, je n’ai jamais eu ce genre de problèmes, mais personne n’est à l’abri. Il faut faire attention à ce qu’on dit en cours, car le moindre mot de travers peut être mal interprété.

Est-ce que tes élèves savent que tu skates ?
Après chaque rentrée, les élèves découvrent après un mois ou deux que je fais du skate. Ils tapent mon nom sur Google et tombent sur mes vidéos de skate. Certains les commentent sur Youtube du style « C’est mon prof ! ».
Je fais attention à ne pas trop étaler ma vie privée sur les réseaux sociaux. Par exemple, j’évite de montrer les endroits où je me rends pour éviter les questions du genre : « Alors Monsieur Moga, comment c’était votre week-end à Barcelone ? ». En tant qu’enseignant, j’ai besoin d’installer une certaine distance.
Qu’est-ce qu’ils pensent de tes vidéos de skate ?
Ils sont souvent amusés, parfois admiratifs. Ils me posent des questions, je réponds à certaines, mais pas à toutes. Certains me suivent sur Instagram. Ça leur montre que ton identité ne se résume pas à ta profession et ça casse un peu le cliché du prof uniquement intello. Ça me donne une image de prof “cool” auprès de certains, même si j’essaie de garder ça secret.
T’as pas un compte burner ?
Non, j’essaie de ne pas trop passer de temps sur les réseaux, donc j’évite de multiplier les comptes, même si j’ai un compte de pêche.
C’est Theo_Pecheur_du 75 ?
Non, c’est Capo Mogo. Je poste de temps en temps mes prises, mais je ne suis pas très actif.

Est-ce que tu traumatises tes élèves avec les irregular verbs ?
C’est un incontournable, mais l’idée n’est pas seulement de les leur faire apprendre bêtement par cœur. J’essaie plutôt de faire en sorte qu’ils les utilisent dans un contexte, afin qu’ils comprennent mieux à quoi ça sert. L’oral est quelque chose que je privilégie dans mes cours. Je préfère qu’ils parlent un maximum en anglais plutôt que de passer 1h sur une leçon de grammaire.
Chacun a un prénom anglais et vous faites des jeux de rôles ?
Oui, je mets en place des rituels à l’oral et des jeux pour les faire parler au maximum. J’essaie de rendre le cours agréable et de créer des activités qui intéressent les élèves, même si ça ne fonctionne pas toujours pour tous. Par contre, ils gardent leurs vrais prénoms.
Comment tu t’habilles au collège ? J’imagine que tu évites les baggies…
Oui, l’idée est de séparer ma vie pro de ma vie privée, donc je m’habille différemment. Je porte des pantalons, des polos et des chemises plus ajustés, sans trop en faire non plus. S’habiller correctement, c’est aussi montrer l’exemple et c’est leur faire comprendre que c’est un effort qu’on attendra d’eux à l’avenir dans le monde du travail.

Quelle est ta journée type ?
Je me lève à 6h45, je me fais un petit déj équilibré : un bol de flocons d’avoines, une banane, un kiwi, puis je file au boulot à vélo. Les journées où je finis tôt, je skate au park d’Arcueil ou Villiers-sur-Orge ou parfois je pars filmer avec Pierre Langevin. En fin de journée, soit je vais pêcher, soit je vais un peu à la salle de sport. J’essaie chaque jour de faire un maximum de choses, d’être productif.
Si tu pouvais arrêter d’être prof pour ne faire que du skate, le ferais-tu ?
Evidemment, c’est un rêve depuis gamin d’être skateur à temps plein. Mais, avec le recul, à ma petite échelle, je me rends compte que le métier de skateur professionnel n’est pas facile. Je trouve qu’il y a beaucoup d’incertitudes dans une carrière pro. Tu peux te blesser et puis l’industrie peut très vite évoluer. Sans prévenir, tu peux te faire cut de ton sponsor. On l’a vu avec Nike. Lorsqu’ils ont ralenti leur programme skate, pas mal de skateurs français se sont retrouvés du jour au lendemain sans salaire.
Dans tous les cas, pour ma part, je ne crois pas avoir le niveau pour accéder à ce statut. Mon métier de prof me convient parfaitement pour le moment. Il m’offre une stabilité professionnelle, tout en me permettant de skater.

Malgré la difficulté que cela représente d’accéder à ce « statut », tu as quand même des objectifs que tu aimerais atteindre ?
Oui, bien sûr. Continuer de filmer des parts et bouger à droite à gauche, c’est ce que je préfère. Il y a encore plein de spots que j’aimerais skater. Et puis, j’ai toujours rêvé d’avoir des photos et une interview dans un magazine, alors merci à toi !
T’as des moments où l’équilibre travail/skate est difficile à tenir ?
C’est rare, mais j’avoue qu’il y a des jours où c’est plus difficile de me motiver pour aller skater. Quand il fait froid, que je sais que je vais skater solo, ou bien quand j’ai eu une journée difficile. Mais bon, en général, j’y vais quand même, parce que l’envie d’apprendre un trick ou de me défouler après le travail reprend le dessus.
Tu fais toujours de la corde à sauter avant de skater. C’est ta routine d’échauffement ?
Oui, c’est un bon moyen de s’échauffer. Je me suis déjà blessé bêtement en début de session parce que je n’étais pas chaud. J’ai compris que les échauffements étaient importants et diminuaient le risque de blessure. Du coup, le premier truc que je fais en arrivant sur le spot, c’est de la corde à sauter ! Ça en amuse certains, mais c’est tellement bénéfique !

Ta ressemblance avec Vincent Milou est une inside joke dans le skate. C’est pas un peu relou ?
Ça ne me dérange pas. Je trouve ça plutôt drôle, au contraire. Outre la vanne, on me confond parfois vraiment avec Vincent Milou.
Une fois, lors d’un championnat de France à Lille, des journalistes sont venus me voir pour m’interviewer en pensant que j’étais Vincent Milou. Je commence à répondre aux premières questions avant de comprendre qu’ils ne s’adressent pas à la bonne personne. Je leur explique que je ne suis pas Vincent. Ils s’excusent et s’en vont, tout gênés. – Rires –
Autre exemple, il y a quelques années de ça, lors d’une AVP d’une part de Vincent au shop WallStreet de Lyon, JB Gillet est venu me voir à la fin de la vidéo pour me saluer et me féliciter en pensant que j’étais Vincent. Quand les gens autour de moi ont réalisé qu’il s’était trompé, on a tous éclaté de rire.
Et dernièrement, au spot de Cladel, un touriste est venu me voir pour faire un selfie. J’ai fait un selfie avec lui et il m’a dit « Thanks Vincent ». Je lui ai répondu que je n’étais pas Vincent. Il était un peu déçu, mais on en a rigolé.

Moi je trouve plutôt que tu ressembles à Bastien Marlin avec ton bonnet et ta doudoune sans manche. D’ailleurs, il t’a pas mal influencé dans ta manière de skater…
On skate ensemble depuis que j’ai 16 ans. Je l’ai rencontré au skatepark de Sète. On a filmé l’une de mes premières parts en 2015. On avait bougé partout dans le sud, à Perpignan, Narbonne et Nîmes notamment. Il m’a également permis de me connecter à pas mal de gens dans l’industrie et c’est grâce à lui que j’ai fait ma première parution dans un magazine.
C’est une personne qui m’a beaucoup aidé à progresser, à développer mon goût pour les spots créatifs et un peu plus rugueux. Il m’a vraiment appris à exploiter les spots qu’on avait dans le sud. J’ai appris à réfléchir différemment.
Tu conserves cette approche différente et créative maintenant que tu es à Paris ?
Je dirais que oui, en tout cas, j’essaie. Quand tu ne skates pas d’énormes gaps ou de gros rails, tu es obligé de trouver autre chose. Tu cherches à trouver la bonne idée au bon endroit ou bien de skater un spot connu de façon originale. Il y a des spots incontournables à Paris, comme le Palais de Tokyo, la place de Créteil, les alentours de Bastille et République, mais, à moins d’avoir une idée de trick jamais fait, je préfère skater les spots de banlieue moins connus et tout aussi fun ! Les alentours de Paris regorgent d’au moins autant de spots que Paris intra-muros.
Quelle est ta technique pour trouver des spots en banlieue ?
Je me déplace essentiellement en vélo, donc je vois beaucoup de choses intéressantes sur ma route. C’est aussi grâce à Hadrien Haverland (@thetrumanburbank). Il les connaît presque tous, lui. Sinon, il suffit de consulter les comptes Instagram “paris skate spots” ou bien “secret spots in paris”, ou encore de regarder les vidéos filmées en banlieue, comme les parts de Michael Mackrodt ou la dernière vidéo de Macéo Moreau.

En parlant de vidéo, tu as un côté perfectionniste sur la manière dont tes tricks sont filmés ou shootés. Ça vient aussi de Bastien ?
Je pense que Bastien Marlin m’a pas mal influencé de ce côté-là aussi. J’essaie vraiment de faire les choses bien et d’être vraiment satisfait quand on filme ou quand on shoote. Je suis prêt à recommencer le trick pendant des heures s’il le faut pour avoir le meilleur angle. Je pense que c’est plutôt positif si ton pote qui te filme est dans la même optique, même si ça demande plus de temps et d’énergie.
T’as des projets à venir ?
Je vais continuer de filmer avec mes potes de B(ee)R dans le sud. On sortait un projet par an jusqu’à maintenant, mais, désormais, on va essayer d’en produire plus régulièrement, mais dans des formats plus courts. Autrement, je prépare une part avec Pierre Patissou pour Haze Wheels, prévue pour début 2024.
