ITW Kamal Ourahou, réalisateur du documentaire BETTER
A l’occasion de la rediffusion, mercredi 4 Octobre 2023 à 20h30 au Cinéma l’Entrepôt, du documentaire BETTER centré sur l’histoire de Nassim Lachhab et de la scène skate marocaine, nous avons eu l’occasion de discuter longuement avec le réalisateur Kamal Ourahou.
Comment est née l’idée du documentaire BETTER ?
J’ai toujours eu cette idée dans un coin de ma tête depuis mes 12-13 ans, quand j’ai commencé à filmer du skate. C’était à Rabat, au Maroc, au White Spot. Je me disais que si un jour un des skateurs de la place réussissait à réaliser son rêve de vivre du skate, ce serait fou de retracer son parcours avec les images que j’aurais de cette époque. Je filmais Nassim, mais aussi d’autres skateurs tels qu’El Mehdi Anys, Rachid El Khadraoui, Said Ibn El Kadi, Moncef El Harti, Ali Jbilou… Il y avait une vibe incroyable qui émanait du White Spot dans ces années-là̀.
Nassim a fini par être celui qui est allé le plus loin. Lorsqu’il est parti en Europe, j’ai continué à suivre son parcours, son ascension, notamment à travers les réseaux sociaux. On se croisait aussi régulièrement au Maroc, les étés. Quand il est passé pro chez Blind, j’ai eu le déclic. Je me suis dit : « Là, il vient de se passer un truc de malade ! » J’avais un premier arc narratif : de ses débuts à son nouveau statut. Mais j’avais envie que le documentaire aille plus loin, qu’il montre ce qu’il y a au-delà du fait de passer pro.
Dix ans ont séparé la période où j’ai arrêté de filmer du skate de manière amateur au White Spot et celle où j’ai commencé à réaliser ce documentaire. C’était un temps nécessaire. Ça m’a permis de gagner en maturité, d’avoir les compétences techniques et intellectuelles pour comprendre cette histoire, l’articuler, et savoir sur quel ton j’allais construire le projet.
Tu as eu des références, des documentaires qui t’ont inspiré ?
Si on prend des films sur le skate, ma plus grande réf, c’est The Scars of Ali Boulala, qui n’a pas eu la distribution qu’il mérite en France, selon moi. Le docu avait été diffusé au Paris Surf & Skate Film Festival. En termes de traitement d’archives et de reconstitution d’un parcours de skateur, c’est pour moi ce qui s’est fait de mieux. Sinon, bien avant ça, il y a eu un court-métrage documentaire pas très connu : Plank. Le film est centré sur Nassim Guammaz et son rapport au skate, mais aussi sur son identité d’enfant d’émigrés marocains. Avec ce film, j’avais pris conscience qu’un tel angle d’approche était tout à fait envisageable. Avec BETTER, je voulais autant faire un film avec des thématiques universelles qui pourraient toucher le grand public qu’un film avec un vrai skate spirit.
Autrement, j’ai été très frappé par la révolution culturelle entamée ces dernières années par le rap marocain. Le collectif Naar, pionnier de ce mouvement, m’a marqué : leur direction artistique, leurs clips, le soin apporté à leur communication… Selon eux, l’opinion dominante actuelle prétend qu’on vit dans un monde post-culturel. Certes, avec internet, toutes les cultures s’influencent les unes les autres à fond. Mais dans le réel, il y a encore beaucoup de barrières et d’inégalités. Aujourd’hui, un artiste européen n’a pas de mal à aller tourner un clip au Maghreb. En revanche, un artiste marocain qui souhaiterait faire la même chose en allant en France, par exemple, risque de se heurter aux ambassades, à la difficulté d’obtenir un visa, etc. Naar espérait contribuer à ce qu’un post-culturalisme advienne, pour de vrai. Cette vision m’a beaucoup inspiré quand je préparais le documentaire.
D’ailleurs, il y a un passage qui m’a marqué dans le film, où Nassim décrit ce paradoxe : «Les Américains ou les Européens peuvent juste réserver un vol et aller où ils veulent. C’est de la liberté. Et le reste du monde n’a pas accès à ce genre de liberté. T’as juste l’impression d’être bloqué dans ton pays (…)».
Il en parle avec une certaine légèreté. On est conscient que ça ne concerne pas que le Maroc. D’autres pays du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou encore d’Amérique du Sud rencontrent les mêmes difficultés. On n’est certainement pas les plus à plaindre. Nassim dit aussi qu’il pense que ces obstacles nous renforcent, nous poussent à développer des mécanismes pour aller au-delà. Et cela tout en essayant de profiter de la vie comme tout le monde.
Il y a beaucoup de résilience dans le caractère de Nassim.
C’est ça. Ça donne un certain relativisme, une certaine maturité. Et quand on vit des choses heureuses, on les apprécie d’autant plus. On ne prend rien pour acquis. Ce spirit, on a essayé de l’insuffler dans le film. Dans la séquence où Nassim passe pro, il dit un truc en dialecte marocain que des gars autour de lui répètent : « Alhayat m9awda ! ». C’est une phrase qui vient du film culte marocain Ali Zaoua et qui signifie : « La vie est fucked-up! ». Mais en dialecte marocain, tu peux l’interpréter comme une expression tant négative que positive. Elle peut être comprise dans les deux sens.
Durant tout le film, on sent que Nassim est dans un entre-deux, entre l’Europe et le Maroc…
On dit souvent que pour tout émigré, la grande question, c’est celle du retour. Il y a de ça dans le film. On est tous les deux originaires de Rabat et on a quitté le pays la même année. Aborder ces thématiques allait de soi. Le rythme de vie de Nassim en est conditionné. Tant du point de vue émotionnel, lorsqu’il a besoin de rentrer voir sa famille, de se recentrer, qu’administratif, pour ses papiers, etc.
Je voulais aussi suggérer que son éloignement du cœur de la scène skate internationale a peut-être développé son acharnement et son abnégation singulière. Selon où tu nais, tu n’as pas le même point de départ face à ton objectif. C’est une échelle qu’il ne faut pas négliger. Quelqu’un qui naît à Lyon ou à Paris aura plus de facilité pour réussir dans le skate que quelqu’un qui naît au Maroc.
Dans tout ça, si Nassim a beaucoup de mérite (c’est indéniable), il a aussi eu de la chance. Il avait une sorte de passion démesurée qu’il ne pouvait qu’imposer à son entourage, puis ce même entourage lui a donné la chance de partir en France. Une fois en France, il s’est retrouvé aux bons endroits, aux bons moments, il a rencontré les bonnes personnes, etc. Le film n’est pas dans une logique méritocratique, on essaie de montrer les choses dans leur dualité.
Quelles difficultés as-tu rencontrées durant la réalisation de ce projet ?
Avant de partir en tournage, j’ai tenté d’obtenir des subventions, j’ai participé à des appels d’offres et des concours, mais ça n’a rien donné. Au final, j’ai eu l’impression de perdre mon temps. J’ai donc financé le film avec mes propres fonds, et cela au fur et mesure que le projet avançait. Par ailleurs, c’était pas toujours évident de caler des dates avec Nassim. Sur la durée du tournage, il a traversé une période super intense à plusieurs niveaux. Mais quand on se retrouvait, c’était pour des moments précieux. Le tournage a nécessité beaucoup d’improvisation et d’adaptation au jour le jour. La clé c’était de se préparer le plus possible pour capturer ces instants au mieux.
Comment s’est déroulé le processus de réalisation du film ?
J’ai commencé par une phase d’écriture de six mois, dès Septembre 2021. J’ai fait des recherches, regroupé le maximum d’informations, noté les lieux, listé les personnes que j’allais rencontrer, etc. En parallèle, j’ai investi dans du matériel son et image. Je savais que le plus probable c’était que je tourne ce film seul. Je voulais que l’image et le son élèvent les personnages, les mettent en valeur, que ma matière tranche avec les images d’archives, plus brutes.
Il y a eu soixante-cinq jours de tournage étalés sur une période de six mois, dont quasi deux que j’ai passé au Maroc sans Nassim, qu’avec les locaux. Ensuite, il y a eu une longue phase de tri, parce que j’avais 46h de rushs au total. Puis, je me suis occupé du montage : là j’ai senti que je reprenais totalement la main créativement. Je me suis discipliné pour avancer méthodiquement et efficacement. Après le montage, il y a eu la post-prod tout au long de cet été. C’est le moment où j’ai le plus bossé en équipe. Je me suis rendu compte que ça devenait peu à peu réel pour d’autres personnes. C’est là que tu commences à y croire.
Ton objectif était d’être prêt pour le PSSFF 2023 ?
Exactement. Je savais qu’en Septembre 2023 je voulais y présenter mon film. J’avais conscience de tout ce que j’avais mis dans ce projet, mais aucune idée de comment il allait y être reçu. Tu ne peux jamais être sûr de ces choses-là. Tu peux passer à côté du truc. Mais j’étais un minimum confiant. J’ai déjà réalisé pas mal de trucs auparavant, je ne me lançais pas dans l’inconnu.
Comment a été l’accueil du film ?
Au PSSFF, la réception a été folle ! On a remporté le Prix du Meilleur Long-Métrage Skateboard. J’étais hyper fier, surtout venant de ce festival que je considère comme un des meilleurs en lien avec le sujet. Au-delà du prix, le moment était incroyable ! On a sold out deux salles. Pendant le film, il y avait une vraie ambiance : il y a eu beaucoup de réactions dans les salles, des rires, des cris. À la sortie, bien que le film soit centré sur Nassim, les gens m’ont surtout parlé d’émotions, de proximité avec les personnages, de la construction du récit et de son ton. Ça a rassemblé des Marocains, des Européens, des internationaux, des skateurs et des cinéphiles. C’était aussi une vraie fierté pour l’équipe, d’autant plus que la plupart d’entre eux étaient bénévoles sur ce projet. On espère que ça pourra inspirer la jeunesse créative marocaine, qu’importe son médium ! C’est un film 100% indépendant, système D, mais on y a apporté beaucoup de soin et d’attention. Et d’emblée il a reçu un prix ! Avec de bonnes intentions et du charbon, on peut espérer concrétiser des choses. C’est à l’image du parcours de Nassim.
Quels sont tes prochains projets ?
Mis à part une part que je prépare avec El Mehdi Anys qu’on voit pas mal dans le docu, je compte m’éloigner un peu du skate pour explorer d’autres sujets. Ce documentaire avec Nassim, c’était une manière pour moi de boucler la boucle qui liait originellement ma passion pour le cinéma et le skate. Pour la suite, j’aimerai réaliser des clips avec des artistes marocains basés en France. J’ai aussi un projet documentaire sur l’héritage culturel de ma famille et deux projets de courts-métrages : un road-movie et un film d’horreur nocturne dans les rues de Rabat. Mais, dans l’immédiat, j’aimerais emmener BETTER dans un maximum de festivals et le proposer sur des plateformes de VOD si l’occasion se présente.
Merci Kamal. Netflix, Amazon, vous savez quoi faire. Par ailleurs, BETTER sera diffusé à nouveau ce Mercredi 4 Octobre 2023 à 20h30 au Cinéma l’Entrepôt Paris 14eme. Le lien de réservation est dispo ici.